Le Crabe

Je m'aperçois que ce blog ne serait pas complet si je ne parlais pas du <crabe>. Cette fichue maladie qui change votre vie comme on retourne un gant. Si on en sort, pas trop amoché, la vie ne sera plus jamais la même. Paradoxalement, après les angoisses et les terreurs, après les espoirs et les rechutes, on vit mieux, plus intensément. On accorde leur vraie valeur aux êtres et aux choses.
C'était en 1996...........
Mais tout d'abord, parlons un peu de ces personnes qui ont vu leur vie basculer brusquement....un jour ordinaire..... le jour où .....
Le cancérologue et moi avons élaboré ce texte un an après mon premier traitement. Il m’a fait comprendre ce que je ressentais, ce qui faisait que j’aie beaucoup de mal à me reconstruire. Il m’a aussi fait réfléchir sur les choix qui s’offraient à moi. J’allais devoir agir et réagir. Ce fut long et douloureux, mais aujourd’hui, même si c’est fragile, je peux dire que : tout va bien.
Les cancéreux, même stabilisés en rémission, ne sont plus semblables à ce qu’ils furent auparavant.
Ils ont franchi une frontière impalpable mais aussi impliable qu’un mur. Leur cerveau reste meurtri par la commotion violente que suscite la révélation du mal, ce qui se traduit par des bouffées soudaines de désorientation. Ils n’oublient pas non plus que chacun des traitements subis s’escorte d’un sevrage, qui entraîne en rebond des dépressions. Une angoisse les mine en continu, plus ou moins profonde, plus ou moins exprimée, motivée par la hantise d’une reprise inopinée de l’anarchie cellulaire. De plus, la mémoire biologique, indépendante de toute logique, fait que le cerveau n’efface jamais totalement la trace du traumatisme et qu’épisodiquement et de manière imprévisible et incontrôlable, des bouffées d’angoisse profonde provoquent un état d’abattement qui peut durer ou quelques heures ou plusieurs jours, jetant le malade dans un profond désarroi, et cela bien des années après la stabilisation. Ces périodes, même si elles s’espacent avec le temps, dureront toute la vie. (On retrouve aussi ce processus dans les traumatismes liés à une catastrophe naturelle, une prise d’otage, une agression.)
L’envie de se laver de l’intérieur, de se régénérer, de se ressourcer, les pousse quelquefois à adopter une attitude distante que leur entourage peut ne pas comprendre et qui parfois le blesse.
Ils sont si différents que parfois leurs intimes se sentent mis à l’écart, alors qu’ils n’ont fait que modifier leurs priorités, et leur façon de communiquer, allant à l’essentiel de manière quelque peu brutale. Ce sont des écorchés vifs qui aiment à cent pour cent, sans faux semblant, car ils savent le prix de la vie.
CR’HABITUDE
Épuisée et vidée
Attente interminable
Les longs couloirs cirés
Et les mots improbables.
Avec le cœur serré
Qui bat mille tocsins
Envie de se terrer
De disparaître au loin.
Se dire qu’au fond de soi
Se cache un autre monde
Et que ma peau de soie
Masque une bête immonde
Mais revenons à ce mois de septembre 1996.
Depuis quelques temps, je me sens fatiguée. Comme je travaille beaucoup et que je ne sais pas m’économiser, je mets cela sur le compte de la saison, et du surmenage car je m’occupe, en plus de mon mari handicapé, de ma mère qui souffre de la maladie d’Alzheimer
En septembre, mon cou enfle subitement. Je suis facilement essoufflée. Mon médecin prescrit une échographie suspectant un goitre. Verdict : Hôpital d’urgence- transfert à Marseille dans la foulée. (Le tout en une demi-heure.)-Diagnostic : Thymome.
Comme je ne sais pas ce que c’est, je ne panique pas. Les médecins viennent me parler après les premiers examens.
Moi : Allons-y et pas de cachotterie. Si c’est grave il faut que je le sache, car j’ai un mari et une mère qui dépendent uniquement de moi. Je dois prendre des décisions importantes et urgentes. C’est quoi un thymome ?
Eux : Un cancer du thymus.
Silence…. Effondrement….Silence…
Eux : Vous avez des questions ?
Moi : Oui, une seule : Il me reste combien de temps à vivre ?
Eux : Aucune idée. Nous n’avons pas de statistiques au-delà de cinq ans. Si vous réagissez bien au traitement il y a plus de 90 pour cent de chance de guérison. Pour l’instant nous allons discuter avec vous d’un protocole de soin et définir une conduite thérapeutique personnalisée. Demain nous aurons les premiers éléments d’analyse et nous ferons le point.
Soulagement…. Espoir…. Réaction …..
O.K. on y va. (Et dans ma tête une petite phrase qui ne me quittera plus pendant tout mon traitement : Je ne mourrai pas de cette cochonnerie, pas question.)
Un an après, lors de ma visite de fin de traitement, après six mois de chimiothérapie, un mois de stérilisation, une auto greffe de moelle osseuse, trois semaines en bulle stérile, quarante séances de rayons, mon médecin et ami me donne ce papier en réponse à mon désarroi. Nous avons parlé pendant plus d’une heure. Et ce fut l’apprentissage d’une nouvelle vie. Douloureux, difficile, improbable.
Il y a des mots clés : aimer, accepter, respecter, humilité.
AIMER :
Soi et les autres. Si je commence par SOI c’est parce que c’est important. Continuer de s’aimer alors qu’on ne ressemble plus à rien extérieurement, même si la personne cachée du cœur est toujours identique, il faut admettre qu’extérieurement c’est la catastrophe.
Aimer les autres parce qu’ils ont eu peur eux aussi, parce qu’ils ne savent pas, parce qu’ils sont maladroits, parce qu’ils en font trop ou pas assez. Apprendre à parler avec eux de cette épreuve, de la douleur, de la peur, de l’espoir, de ce que je veux, de ce que je ne veux pas, de ce que je ne sais pas exprimer, parler de leur souffrance, de leur angoisse.
Mais pour cela il faut :
ACCEPTER :
La déchéance du corps, la laideur, l’odeur épouvantable de cadavre qui transcende tout, les vomissements incoercibles, et les autres fuites tout aussi incontrôlables, la douleur insupportable.
La fatigue, au-delà du supportable, la vie qui s’en va, l’impression d’être une enveloppe vide.
Les crises de désespoir, les larmes, la colère surtout, l’impuissance, la peur, le renoncement.
L’espoir, la déception, la joie.
RESPECTER.
Respecter ce corps torturé, la vie, l’étincelle de vie, respecter ses limites.
Exemple : Je veux faire la vaisselle (Deux assiettes, deux verres…) et finalement n’être capable que de remplir l’évier et de retourner s’allonger, vidée.
Respecter les autres en acceptant qu’ils nous aident ou nous remplacent même si on a l’impression qu’on fait sans doute beaucoup mieux. Et j’en arrive à
HUMILITE :
Accepter de faire moins et moins bien qu’avant, accepter de reconsidérer sa manière d’être en se disant que ce n’était peut être pas la meilleure. Accepter de l’aide. Accepter d’appeler au secours, accepter de recevoir gratuitement…. Accepter de dépendre des autres.
ET ENSUITE CHOISIR :
VIVRE intensément, sans trembler en pensant que tout pourrait recommencer, ce qui n’empêche rien.
APPRECIER chaque jour, chaque minute. Apprécier un mot, un sourire, un éclat de rire, un oiseau, une fleur, un parfum. (À quoi ils servent si on ne les apprécie pas).
ACCEPTER l’amour des autres, le souci qu’ils ont de nous, accepter d’avoir besoin d’eux, le leur dire, leur dire merci.
Accepter ce qu’ils sont. Leur dire tous les jours combien on les aime et combien ils comptent pour nous. Accepter d’être celui qui donne le plus sans compter parce que l’important c’est d’être vivant pour pouvoir donner.
Ne pas croire qu’en se taisant on va les épargner, les protéger : C’est faux. Ils nous aiment, ils souffrent, ils ont peur. Notre silence ne les aide pas, au contraire, c’est comme si on ne leur faisait pas confiance. Il faut prendre sur soi pour leur parler, pour se confier, même si parfois on a l’impression qu’ils ne peuvent pas nous comprendre, même si parfois ils nous disent : ce n’est rien, ça va aller mieux…… patiente…..
Ca nous rend triste et on se sent incompris, mais c’est leur façon à eux de se rassurer, de ne pas paniquer. Alors quand la petite phrase assassine nous égratigne, demandons un bisou et passons à autre chose au lieu de déprimer.
Cela va faire douze ans que l’on m’a mis cette terrible étiquette : CANCER.
Il m’a fallu beaucoup de ténacité pour en venir à bout.
Aujourd’hui : TOUT VA BIEN
SYLVIE
Septembre 2008.
Le Crabe
Pour l’instant, il sommeille
Fiché au fond de moi
Toujours peur qu’il s’éveille
Quelque part il fait froid
Il y a quelques lunes
Il avait fait son lit
Léger comme une plume
M’avait toute envahie
Pour le contrer, horreur
Les filtres et le poison
La douleur, la peur
Comme seuls compagnons
Puis il a dépéri
S’est recroquevillé.
Je renais à la vie
Émue, émerveillée.
Pour l’instant il sommeille
Fiché au fond de moi
Toujours peur qu’il s’éveille
Quelque part, il fait froid
Et tout pourrait s'arrêter là!!!
Mais en Décembre, le mal sournois a ressurgi.
Seulement, cette fois, je ne lutte plus de la même manière. J'ai décidé de substituer aux traitements agressifs, des médecines plus douces, plus à l'écoute de mon corps.
Nous sommes en Juillet, je vais bien.
Mon corps se défend et fait face. J'ai le moral, une forme étonnante.
Et cela grâce à Richard.
Il est arrivé dans mon coeur et dans ma vie le jour où on a posé le diagnostic. Il m'a écoutée, entendue et dirigée vers ses amis magiciens (je le nomme comme ça parce qu'ils ont le don de vous comprendre et d'écouter votre corps) Ces médecins ont une approche tellement belle de la maladie qu'on ne peut que se régénérer.
Il faut simplement savoir que le cancer n'est pas une fatalité, même si beaucoup meurent encore.
La vie est tellement Belle, on n'a pas le droit de la mépriser.
AIMER est le seul vrai remède.
Avec la lumière et l'ouverture aux autres et au monde.
Je suis vivante, pleine de joie de vivre et confiante.....
Elle est BELLE.... LA VIE!!!!!!